Chevalerie

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Illustration d'un chevalier dans le Codex Manesse (1305-1315). Montant un cheval de guerre, il est équipé d'un heaume en fer, d'un grand bouclier (écu) et d'une lance destinée à la charge. Sa panoplie est richement décorée de ses armes, permettant de l'identifier.

La Chevalerie et code chevaleresque désignent à la fois un groupe social formé de chevaliers et un ensemble de codes de conduite informels, d'origine médiévale dont les origines remontent, pour l'Occident, au XIe siècle[1] Le berceau de la chevalerie occidentale médiévale se situe dans le monde franc. Fortement marquée par la tradition chrétienne et par les prescriptions morales, religieuses et politiques de l'Église médiévale, la chevalerie occidentale est intimement liée à la dévotion pieuse, la pratique des armes et de la guerre, ainsi qu'une éthique de l'assistance envers son prochain et de la fidélité[2].

Les comportements idéaux des chevaliers étaient régis par des codes chevaleresques plus ou moins institués en normes. Les idéaux de la chevalerie ont été fortement influencés par la théologie chrétienne et diffusés par la littérature médiévale, qui en forme les contours et les archétypes, en particulier dans les cycles littéraires connus sous le nom de Matière de France (ensemble d'épopées littéraires qui se rapporte aux compagnons légendaires de Charlemagne et à ses hommes d'armes, les paladins), et de Matière de Bretagne (alimentée par l'Historia Regum Britanniae de Geoffrey de Monmouth, écrite dans les années 1130), qui a popularisé la légende du roi Arthur et de ses chevaliers de la Table ronde.

À l'origine, le terme de chevalier désignait uniquement les combattants à cheval, le caballus du latin tardif (emprunté au gaulois *kaballos, du protoceltique *kaballos), qui reprenait l'idéal de l'equites romain. C'est seulement par la suite qu'il se voit donné un sens moral, éthique, et social, en se voyant greffé les idéaux chevaleresques de la littérature et de la chanson de geste. Le terme sous-entend une distinction sociale et fonctionnelle entre les chevaliers, combattants professionnels aguerris au métier des armes, force d'élite montés à cheval, et l'infanterie à pied, la « piétaille » qui fournissait la masse des troupes d'infanterie recrutées de manière ponctuelle[3]. Au fil du temps, sa signification en Europe a été progressivement affinée pour mettre l'accent sur des vertus sociales et morales plus générales. Le code de la chevalerie, tel qu'il existait à la fin du Moyen Âge, était un système moral qui combinait une éthique guerrière, la piété chevaleresque et les manières de la cour, le tout s'associant pour établir une notion d'honneur et de noblesse, de dévouement pour son suzerain auquel les chevaliers sont liés par un serment de fidélité[4].

La chevalerie, comme force militaire et ordre social, subit de profondes évolutions à la fin du Moyen Âge. Elle se mue en cavalerie professionnalisée dans le cadre de la naissance des premières armées modernes. Les ordres chevaleresques deviennent alors des groupes sociaux chargés de symboles prestigieux, des cercles de sociabilité et de répétition des codes de la noblesse de guerre.

Signification[modifier | modifier le code]

Etymologie[modifier | modifier le code]

À l'origine, le terme de chevalerie est synonyme d'équitation. Le terme s'est formé en ancien français, au XIe siècle, à partir du latin médiéval caballārii, nominatif pluriel du terme caballārius[5][6]. Il en vient progressivement à désigner l'ensemble des hommes d'armes formés professionnellement, depuis l'enfance, ayant passé un certain nombre de rituels de confirmation de sa formation, d'ascendance noble ou du moins issu des milieux aristocratiques, capables de s'équiper d'un cheval de guerre et des armes d'un cavalier lourd (épée, bouclier, lance, armure corporelle et fourniment)[7].

La signification du terme a profondément au fil du temps vers un sens plus large : au cours du Moyen Âge, les chevaliers et la chevalerie mutent, de l'homme d'armes noble possédant un cheval de guerre vers une conception plus générale de groupe social noble partageant l'idéal de l'éthos guerrier chrétien tel qu'il se donne à voir dans le genre romanesque, devenu populaire au XIIe siècle. La chevalerie embrasse aussi progressivement l'idéal de l'amour courtois propagé dans la chanson de geste et ses genres connexes[8].

Polysémie : entre groupe social et ensemble de valeurs[modifier | modifier le code]

Le terme de chevalerie est fondamentalement polysémique : désignant d'abord la pratique militaire à cheval, puis une forme de groupe de combattants liés entre eux par une éthique, un style de formation, et une pratique sociale, le mot de chevalerie finit ainsi par regrouper non seulement les hommes, mais aussi leurs valeurs :

« La chevalerie présente deux acceptions, l’une sociale et l’autre idéologique. D’une part, le groupe aristocratique des combattants à cheval, et d’autre part les valeurs qui lui imposent des comportements spécifiques. »
— Aurell, Martin (dir.) ; Girba, Catalina (dir.). Chevalerie et christianisme aux XIIe et XIIIe siècles. Nouvelle édition. Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2011. - présentation de l'ouvrage (http://books.openedition.org/pur/112928)

Pour Philippe Contamine, historien de la guerre au Moyen Âge :

« Le Moyen Âge est l’époque de la chevalerie. Cette grande notion, à la fois sociale et technique, est censée représenter un certain nombre de valeurs : un noble est normalement un chevalier, et il se fait enterrer avec une pierre tombale le représentant en armure, avec éventuellement son épée. »

— Entretien avec Philippe Contamine, propos recueillis par Laurent Testot dans : Jean-Vincent Holeindre éd., La guerre. Des origines à nos jours. Auxerre, Éditions Sciences Humaines, « Essais », 2014, p. 76-81, La guerre, des origines à nos jours

Pour le médiéviste Nigel Saul, professeur d'histoire médiévale à l'Université de Londres, il y a ambivalence dans la notion de chevalerie, entre groupe social, ensemble de valeurs et code de comportement :

« La chevalerie médiévale était plus un ensemble d'attitudes qu'une doctrine, plus un style de vie qu'un code éthique explicite. Elle englobait à la fois une idéologie et une pratique sociale. Parmi les qualités centrales de la chevalerie figurent la loyauté, la générosité, le dévouement, le courage et la courtoisie, des qualités qui étaient estimées par la gent militaire et que les contemporains considéraient comme étant celles que le chevalier idéal devait posséder. »

— Nigel Saul, "Chivalry in Medieval England", Harvard University Press, Cambridge, 2011, p. 3 (langue originale : anglais)

Pour Jean Flori, historien spécialiste de la chevalerie médiévale, auteur de nombreuses synthèses sur les chevaliers et la chevalerie française :

« La chevalerie, c'est d'abord un métier, celui qu'exercent, au service de leurs maîtres, leur seigneur ou leur roi, des guerriers d'élite combattant à cheval. Les méthodes de combat spécifiques de cette cavalerie lourde la transforment bientôt, par le coût des armements et l'entraînement qu'elles nécessitent, en élite aristocratique. La fonction guerrière se concentre sur une classe sociale qui la considère comme son privilège exclusif. Cette fonction a une éthique. A l'ancien code déontologique de la chevalerie guerrière des premiers temps, fondé sur le devoir d'obéissance au seigneur, de courage et d'efficacité au combat se sont mêlés, issus de l'ancienne idéologie royale, les devoirs de défense du pays et de ses habitants, de protection des faibles, veuves et orphelins, que l'Eglise a fait glisser des rois aux chevaliers lorsque, à l'époque féodale, le déclin du pouvoir central a révélé la puissance effective des châtelains et de leurs chevaliers. »

— Jean Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Hachette, Paris, 1998, avant-propos

Origines de la chevalerie médiévale[modifier | modifier le code]

Racines antiques : Rome et les Germains[modifier | modifier le code]

A Rome[modifier | modifier le code]

Le principal précédent à la chevalerie médiévale est la chevalerie romaine. Les chevaliers romains constituent à l'époque républicaine une classe censitaire définie par le niveau de richesse le plus élevé de la société romaine, la possession d'un cheval public, la participation à la légion dans les rangs les plus équipés et la participation à la cavalerie romaine sur le champ de bataille. L'appartenance à l'ordo equester permettait à ses membres d'entrer en politique en renonçant au cheval public et en intégrant les cercles sénatoriaux, à l'instar de Pompée le Grand en 70 av. J.-C. À partir de l'époque impériale, ces deux groupes (chevaliers et sénateurs) sont structurés en ordre juridiques définis, en partie héréditaires, les chevaliers disposant d'un cens de 400 000 sesterces embrassant tantôt la carrière administrative, tantôt la carrière militaire, les sénateurs, d'un cens de 1 000 000 de sesterces, embrassant la carrière politique (gouvernorat de province, magistratures publiques). Les points culminants de la carrière équestre étaient les postes de légats d'Auguste propréteurs, les grandes préfectures (préfecture de l'annone, préfecture de la Ville, préfecture du prétoire) en passant par diverses charges administratives au sein du palais impérial, des procuration provinciales, et dans les tribunaux de justice. Les chevaliers romains constituent depuis le IIe siècle av. J.-C. la principale force économique du monde romain, se partageant de nombreux marchés publics par adjudication, affermant les impôts dans diverses provinces.

Dans l'Antiquité tardive, la rencontre entre l'armée impériale et les forces germaniques fut la source d'un constat d'inadéquation de l'appareil militaire des Romains des premiers siècles de l'Empire. De nombreux auxiliaires utilisaient déjà alors des équipements différents, comme la spatha. Sous Gallien, on mit en place des corps spécialisés de cavalerie détachés des légions (vexillations). Le recrutement local d'étrangers au service de la légion s'amplifia sous Aurélien. Les habitudes militaires germaniques finirent, à terme, par s'imposer progressivement dans les pratiques de la légion[9].

Dans le cadre de l'éclatement de l'Empire romain naît une nouvelle société, celle des royaumes francs et germaniques, fondée à la fois sur les traditions romaines qui n'ont pas disparu et ont été intégrées aux rites politiques, aux langages sociaux, et sur le primat des relations privées d'homme à homme, issues des anciens peuples germaniques. Le rapport parfois étroit entre souverains germano-francs et église romaine accélère la diffusion de la religion chrétienne au sein des espaces de l'Europe occidentale[9].

Les sociabilités guerrières germaniques[modifier | modifier le code]

Dans son ouvrage consacré à la Germanie, Tacite utilise le terme comitatus, dans son sens générique de suite ou d'escorte, pour désigner une pratique germanique : les chefs sont entourés d'une bande de guerriers qui leur doivent une fidélité complète. Selon Tacite il est honteux pour les membres de ce comitatus, de cette bande, de revenir vivants d'un combat où leur chef a péri[10]. On a souvent vu dans ce passage le témoignage d'une organisation sociale et militaire qui serait à l'origine de la féodalité médiévale et des liens de vassalité qui l'organisent[11].

Tacite décrit de même un rite de passage des Germains marquant leur entrée dans l'âge de la guerre : « Affaires publiques ou affaires privées, ils ne font rien sans être en armes. Mais la coutume veut que nul ne prenne les armes avant que la cité ne l'en ait reconnu capable. Alors, dans l'assemblée même, un des chefs ou le père ou ses proches décorent le jeune homme du bouclier et de la lance : c'est là leur toge, ce sont là les premiers honneurs de leur jeunesse. »[12].

De nombreux liens ont donc été recherché entre les sociétés du haut-Moyen Âge et la description de Tacite afin d'illustrer une continuité de cette institution, en particulier dans le monde Anglo-Saxon[13]. Steven Fanning a toutefois souligné la fragilité de cette construction historiographique. Il remarque que pas une seule fois le mot comitatus n'apparaît pour désigner une telle institution dans les sources de la période des royaumes anglo-saxons et surtout les exemples avancés pour soutenir l'idée d'une continuité entre la pratique germanique connue par Tacite et le haut Moyen Âge anglo-saxon n'ont pas la valeur qui leur est souvent attribuée : le comitatus anglo-saxon dépeint par l'historiographie moderne est une fiction et n'est pas une description pertinente des cortèges guerriers anglo-saxons[14]. Selon lui l'interprétation du texte de Tacite a souvent été forcée pour le rapprocher des réalités féodales, sans tenir compte du contexte et des buts propres à l'œuvre de Tacite[15]. Le comitatus de Tacite a aussi occupé, sous le nom de Gefolgschaft, une place importante dans l'historiographie allemande mais avec des interprétations très divergentes. Au XIXe siècle, le comitatus était présenté comme la preuve d'une organisation germanique égalitaire, puis il fut vu au contraire comme le signe d'une société profondément aristocratique et hiérarchisée, le comitatus devenant sous le régime nazi l'illustration du Führergefolgschaft[16]. On considère en général que le comitatus germanique de la description de Tacite correspond au Männerbund mis en évidence par les études comparatistes dans les sociétés indo-européennes.

Le rôle du cheval[modifier | modifier le code]

De nombreux auteurs ont souligné la force de continuité qui réside dans la pratique de la guerre à cheval et la constitution de groupes de combattants d'élite montés, servant dans la cavalerie de guerre des grands royaumes et empires antiques. F. Cardini identifie ainsi chez les Scythes et chez les Sarmates, ainsi que chez les « peuples des steppes » les « racines lointaines de la chevalerie médiévale »[9]. Ces groupes culturels mettaient en effet particulièrement en avant le cheval, l'exploit guerrier personnel, éléments de base qui constituèrent plus tard les bases de l'idéologique chevaleresque[17]. Du monde hunnique aux confins germaniques du monde romain, de nombreux peuples comme les Goths pratiquent ainsi l'inhumation rituelle du cheval comme accompagnement funéraire des membres de l'aristocratie[17]. La mise en scène, dans le vivant comme dans la mort, du cavalier lourdement armé concentre alors des attributs qui tendent à le présenter comme inexorable, invincible au combat. Le monde germanique montre, dès le IIIe siècle ap. J.-C., des traits proches de ce qui se retrouva par la suite dans le monde médiéval : sacralisation rituelle des chevaliers, du cheval, culture de la grande épée de fer érigée en marqueur social[17].

La sacralisation des épées[modifier | modifier le code]

La sacralisation de l'épée chez les Germains est attestée chez les Alains notamment, chez lesquels on fichait parfois une épée en terre lors de pratiques rituelles : l'épée était affublée d'une origine merveilleuse, d'une personnalité, d'un nom, et on jurait et prêtait des serments sur elle[17]. Dans les mythes et épopées liées à la chevalerie, élaborés au cours du Moyen Âge central, certaines d'entre elles sont même façonnées par des forgerons mythiques, comme celle que reçut Geoffroy Plantagenêt en 1127 ; certains autres souverains et chevaliers de chansons manièrent des épées aux noms légendaires : « Joyeuse », « Excalibur » ou « Durendal »[18]. Le christianisme récupéra par la suite ce rite à sa façon, par le biais de l'insertion rituelle de reliques dans les poignée et pommeaux d'épées. Le fond d'origine de certaines pratiques rituelles et symboliques de la chevalerie médiévale se situe donc dans les pratiques magico-religieuses de la fin de l'Antiquité[17].

Epoque carolingienne[modifier | modifier le code]

Les habitudes chevaleresques qui se sédimentent et se définissent à partir du XIIe siècle puisent directement leurs racines dans les siècles carolingiens, où naît progressivement la figure du chevalier. En effet, le monde carolingien cultive, sur le mode de l'identification au monde romain, l'idéalisation du cavalier - pétri de bravoure militaire, fort de l'entraînement individuel le plus poussé, mû par le service aux autres. Un des cœurs de naissance de l'éthos chevaleresque dans le monde carolingien est en particulier la Francie, où les soldats à cheval de la cavalerie de Charlemagne constituent rapidement un modèle de corps militaire dévoué, redoutable, noble et auréolé de gloire. La chevalerie recouvre en partie, à la fin du XIIe et XIIIe siècles, la notion d'ordre militaire, à l'instar des Templiers puis des Hospitaliers par exemple, dans lesquels la pratique de la guerre est encadrée et liée à des vœux religieux. Ces ordres rassemblent des combattants à cheval dont le but est de travailler à la sécurisation des pèlerinages, à l'escorte des croyants en Terre Sainte.

Début de l'époque féodale[modifier | modifier le code]

À la fin du Xe siècle et au début du XIe siècle, on observe dans la langue écrite l'émergence de nouveaux termes, de mots servant à désigner une catégorie spécifique de combattants : miles, chevalier, ritter, knight, autant de termes qui rentrent dans les usages courants pour créer une séparation entre les chevaliers et les autres hommes. Les auteurs de chartes et de documents normatifs ressentent ainsi la nécessité de formuler dans l'écrit une nouvelle catégorie sociale, soit que celle-ci préexiste suffisamment, soit que la pratique des textes tend désormais à faire figurer ces informations statutaires[19].

Le titre prend d'abord une dimension militaire. La vocation des chevaliers était le combat : les évolutions des pratiques de guerre à la fin de l'époque carolingienne avaient consacré progressivement le primat du cavalier lourd et du soldat lourdement armé, spécialiste, chèrement équipé, sur le champ de bataille. Le cheval occupe une place centrale dans cette panoplie de guerre nouvelle. Entre progrès de la technologie du harnois, de l'étrier, et naissance de l'escrime à la lance montée, la supériorité technique des cavaliers lourds s'impose nettement au XIe siècle, creusant d'autant plus le fossé socio-technique entre chevaliers et piétons classiques[19]. Les chevaliers constituent dès lors une clientèle de combattants professionnels qui gravitent autour d'un grand, un seigneur féodal, dont le nombre va croissant au gré de la féodalisation de la société et de la mise en place d'un réseau castral important en Europe occidentale. La pratique des armes libérait par ailleurs les détenteurs d'une telle charge de certaines taxes qui pesaient sur le travail de la terre[19].

À la fin du Xe siècle, la montée en puissance de l'idéologie de la paix de Dieu impose de séparer, en l'espèce, les inermes, les hommes dépourvus d'armes, des armés, accusés de propager la violence et le désordre : on imposa progressivement à ces miles de prêter des serments de protection, de lier leur pratique des armes à une éthique de la violence bien délimitée, afin de protéger les plus fragiles. La chevalerie en gestation se retrouve alors autour de privilèges fiscaux, les préservant des exactions seigneuriales, et de devoirs militaires encadrés par une forme de code de conduite[19].

Contexte économique[modifier | modifier le code]

L'Adoubement de Lancelot.
Miniature d'Évrard d'Espinques tirée du Lancelot en prose, BNF Fr.116, 1475.

Tous les chevaliers n'étaient cependant pas des guerriers à plein temps : la plupart d'entre eux font partie de la paysannerie propriétaire et participent à la naissance de l'économie féodale. Les chevaliers-paysans, cultivateurs et combattants occasionnels, sont nombreux autour de l'an mil[20], vivant en groupe dans de grosses maisons fortes[19]. Le chevalier se doit de fréquenter son suzerain et d'adopter un train de vie presque similaire tout en restant moins fastueux, et est souvent lui-même seigneur d'une terre modeste, qui lui assure un revenu foncier cependant suffisant pour entretenir et payer son équipement. La chevalerie a été pour certains hommes du début du XIe siècle un ascenseur social, mais une fois l'agrégation entre cet ordre et la noblesse consommée, moins d'un siècle après, ce ne sera plus le cas[19].

Influences de la furûsiyya arabe[modifier | modifier le code]

La chevalerie chrétienne occidentale n'est pas la seule à se développer dans les siècles centraux du Moyen Âge. On considère traditionnellement qu'une partie des valeurs morales et chevaleresques, ainsi qu'une partie de la littérature latine consacrée à la chevalerie à partir du XIIe siècle est fortement influencée par la littérature arabo-musulmane d'Espagne, qui se développe à partir du VIIIe siècle sous l'égide du califat Omeyyade de Cordoue. Dans la culture arabe classique, le chevalier, Fáris (فارس), doit être un homme maîtrisé, baigné de dignité, d'éloquence, de douceur, sachant monter à cheval, il doit avoir des talents artistiques, il doit jouer de la musique et maîtriser les armes avec habileté. Les origines de la chevalerie arabe remontent à l'établissement du califat abbasside en Iraq pendant la seconde moitié du VIIIe siècle. L'art de la furûsiyya se ramifie progressivement en une furûsiyya supérieure (al-ulwiyya) qui se pratique sur le cheval, et une furûsiyya inférieure (al-sufliyya) qui se pratique à terre. La furûsiyya est le propre des guerriers et des pratiquants de la guerre (al-harbiyya) et le propre de la noblesse arabe (al-nabilah). Le Furûsiyya al-nabilah, chevalerie des nobles arabes qui entourent les califes, regroupe les concepts de shaja'a (courage), shahama (galanterie), muruwwa (virilité) et sakha (générosité)[21]. Cet idéal se rapproche fortement du chevalier noble romanesque, homme de cour, de raffinement, pratiquant l'amour courtois et les arts en prime de son engagement militaire[22]

Chevalerie et chrétienté[modifier | modifier le code]

Un rejet initial de la violence[modifier | modifier le code]

Aux origines de la chrétienté, l'idée de service militaire est profondément incompatible avec la doctrine religieuse. Le serment militaire de la légion romaine, associé au culte de la figure agissante de l'empereur, sont perçus par les auteurs chrétiens comme de l'idolâtrie[9]. Les premiers chrétiens rejettent assez massivement le service militaire et la participation passive ou active à des actes de guerre ou de violence. Ils refusent d'assister aux jeux du cirque ou de condamner à mort. L'Église des premiers temps juge incompatible la profession de soldat avec l'état de chrétien. Bon nombre de martyrs le furent d'ailleurs car ils refusaient de faire leur service militaire. Au IVe siècle, avec la conversion progressive des souverains romains, la transformation du christianisme en religion licite, et a fortiori en religion du pouvoir, l'antimilitarisme des premiers temps devient suspect, voire critiqué[9]. Ainsi, le synode d'Arles en 314 condamne ouvertement les fidèles refusant de se battre et jetant leurs armes en temps de paix, les incitant ainsi à effectuer leur service militaire en tout temps. L'acculturation religieuse et politique des peuples germaniques entrés dans l'Empire consacre le rapprochement entre service de la Cité de Dieu et pratique des armes : lutter contre les barbares, païens devient un devoir[9].

Naissance de l'idéal du milicien chrétien[modifier | modifier le code]

Les premiers textes défendant la vocation chevaleresque et l'établissement d'une classe de combattants dont le rôle serait de défendre la chrétienté et de se battre pour dieu se développent à partir du Xe siècle, dans le cadre de la féodalisation progressive de la société médiévale, ainsi que de l'accélération de la christianisation. La Vie de Saint Géraud d'Aurillac, rédigée par Odon, second abbé de Cluny, dans les années 930, fait ainsi mention de l'utilisation légitime de l'épée et de la violence contre l'ennemi du Christ, dont il faut défendre l'Église[23]. La notion de miles Christi commence alors à se répandre.

À la même époque, malgré le mouvement de la Paix de Dieu, l'Église adopte progressivement une position plus tolérante à l'égard de la guerre pour la défense de la foi, embrassant la pratique de la « guerre juste » ; des cérémonies de bénédiction des épées des combattants se développent, ainsi que des immersions rituelles de chevaliers pour se purifier de la violence et du sang versé, afin de recevoir l'onction de Dieu[24]. L'idée d'une chevalerie compatible avec la vocation chrétienne naît alors du mariage entre pratiques militaires héritées du monde antique et germano-franc et vocation de défense du Christ et de son enseignement à travers le monde, sur le modèle des héros de l'Ancien Testament[25].

Le rôle des croisades[modifier | modifier le code]

À ses débuts, la chevalerie n'était donc nullement valorisée par l'Église comme le précise Jean Flori[26][réf. incomplète]. Si elle soutenait entièrement les chevaliers partant en croisade, elle dénonçait ceux qui risquaient leur vie non pas pour Dieu mais pour la gloire. L’Église a fortement contribué à influencer pour partie la chevalerie et à modifier ses valeurs, ses devoirs, pour la rendre compatible, si ce n'est tolérable, par la doctrine. L'Église a ainsi assuré la rémission des péchés à tous les chevaliers désirant combattre les infidèles en Terre sainte. Les croisades ont donc joué un rôle central dans la réconciliation entre l'Église et la chevalerie. Il était désormais possible à partir du XIIe siècle, notamment lors de la première croisade prêchée par Urbain II en 1095 d'être chevalier et de combattre pour Dieu. Pour elle le problème s'est réellement posé avec les Templiers qui cherchaient la reconnaissance de l’Église.

Naissance des ordres militaires[modifier | modifier le code]

L'impulsion croisée[modifier | modifier le code]

Avec la prise de Jérusalem et la défaite de l'armée fatimide à Ascalon, au terme de la première croisade, le royaume latin de Jérusalem est mis en place. Godefroy de Bouillon est choisi par ses pairs comme prince de Jérusalem. Il refuse d'être nommé roi du royaume de Jérusalem. Il est alors nommé avoué du Saint-Sépulcre, soit advocatus Sancti Sepulchri. En septembre 1099, il reste seul dans ses nouvelles possessions avec seulement 300 chevaliers et 2 000 piétons. Ces hommes d'armes, issus de la croisade, se mirent au service du nouvel avoué, à Jérusalem afin de protéger le Saint-Sépulcre[27]. Une institution similaire constituée de chevaliers, appelés chevaliers de Saint-Pierre (milites sancti Petri), fut créée en Occident pour protéger les biens des abbayes et églises. Ces chevaliers étaient des laïcs, mais ils profitaient des bienfaits des prières. Par extension, les hommes chargés d'assurer la protection des biens du Saint-Sépulcre ainsi que de la communauté des chanoines étaient appelés milites sancti Sepulcri (chevaliers du Saint-Sépulcre).

Les établissements francs sont dangereusement isolés les uns des autres et mal reliés à la mer[28]. La plupart des guerriers croisés considéraient en effet leur vœu accompli et retournèrent en Europe[29], convaincus d'avoir instauré une paix solide et durable en Palestine. Cependant des bandes de « grands ou petits chemins », des incursions sarrasines, font régner une insécurité constante. Une grande partie des croisés étaient rentrés au pays après la conquête. il existe bien une soldatesque, mais trop souvent limitée aux villes, les chemins nécessitaient des déplacements en groupe.

Après la mort de Godefroy, son frère Baudouin, comte d'Édesse, se fait couronner roi de Jérusalem par le patriarche latin de la ville. Il étend le royaume de Jérusalem par les conquêtes d'Arsouf, de Césarée, de Beyrouth et de Sidon. De son côté, Raymond de Toulouse, avec l'aide de Gênes, fait la conquête du comté de Tripoli[30]. Les marchands italiens, d'abord réticents à l'idée d'une aventure guerrière risquant de détériorer leurs relations commerciales avec l'Orient, commencent à voir dans les croisades un moyen d'élargir le champ de leurs activités et d'acheter les produits d'Orient à la source, sans passer par l'intermédiaire des musulmans ou des Byzantins[31]. La nécessité de protéger les routes commerciales, les pèlerins, et les marchands, apparaît donc de plus en plus forte. Dans ce contexte, plusieurs ordres religieux se dotent de règles et de structures permettant d'intégrer dans leurs rangs des chevaliers, combattants prêtant serment et recevant les sacrements leur autorisant à exercer la violence au nom de dieu et du Christ.

Les Hospitaliers : du monastère aux chevaliers[modifier | modifier le code]

Sous l'impulsion de ces nouveaux rapports de force militaire, l'ordre des Hospitaliers amorce une transformation fonctionnelle et structurelle. L’origine de l'Ordre se trouve au XIe siècle, dans le cadre du monastère bénédictin de Sainte-Marie-Latine, fondé à Jérusalem au milieu du XIe siècle par des marchands amalfitains, auquel s'ajoute un peu plus tard le monastère féminin de Sainte-Marie-Madeleine ; chacun d'eux est pourvu d'un xenodochium, un hospice ou une hostellerie, dont le rôle est d’accueillir et de soigner les chrétiens accomplissant un pèlerinage en Terre sainte. En 1113, Frère Gérard demande que son hospice soit reconnu comme autonome par rapport aux couvents bénédictins. Le pape Pascal II promulgue une bulle Pie postulatio voluntatis en ce sens le [32],[33] en faisant de cet hôpital, « L'Hospital », une institution, une sorte de congrégation[33], sous la tutelle et protection exclusive du pape. Gérard est reconnu comme chef de cette congrégation et le pape précise dès le départ qu'à la mort de ce dernier, les membres de l'Ordre choisiront eux-mêmes son successeur[34]. En 1123, Raymond du Puy prend la tête de l'Ordre[35], il dote les Hospitaliers d'une règle reposant sur celles de saint Augustin et de saint Benoît[36]. Cette règle organise l'Ordre en trois fonctions, les frères moines et clercs, les frères laïcs et les frères convers qui tous doivent les soins aux malades.

Le , une catégorie de frères prêtres ou chapelains est établie, accordée par le pape Anastase IV[37] ; le personnel soignant, médecins et chirurgiens, est officialisé dans les statuts de Roger de Moulins du [38] ainsi que les frères d'armes, qui apparaissent pour la première fois dans un texte. Selon Alain Demurger, « c'est à cette date donc que l'Ordre est devenu, en droit, un ordre religieux-militaire »[39].

Sous Alphonse de Portugal en 1205, ils sont répartis en frères prêtres ou chapelains, frères chevaliers et frères servants (« servant d’armes et servants de services ou d’office »[40]). Cette organisation en trois classes restera celle des Hospitaliers[41].

Les Templiers : une milice du Christ[modifier | modifier le code]

L'autre grand ordre militaire lié aux croisades et rassemblant des chevaliers est l'ordre du Temple. Il œuvra pendant les XIIe et XIIIe siècles à l'accompagnement et à la protection des pèlerins pour Jérusalem dans le contexte de la guerre sainte et des croisades. Il participa activement aux batailles qui eurent lieu lors des croisades et de la Reconquête ibérique. Afin de mener à bien ses missions et notamment d'en assurer le financement, il constitua à travers l'Europe catholique d'Occident et à partir de dons fonciers, un réseau de monastères appelés commanderies, pourvus de nombreux privilèges notamment fiscaux. Cette activité soutenue fit de l'Ordre un interlocuteur financier privilégié des puissances de l'époque, le menant même à effectuer des transactions sans but lucratif, avec certains rois ou à avoir la garde de trésors royaux.

Lorsque l'ordre de l'Hôpital, reconnu en 1113, fut chargé de s'occuper des pèlerins venant d'Occident, une idée naquit : créer une milice du Christ (militia Christi) qui ne s'occuperait que de la protection de la communauté de chanoines du Saint-Sépulcre et des pèlerins sur les chemins de Terre sainte, alors en proie aux brigands locaux. Ainsi, les chanoines s'occuperaient des affaires liturgiques, l'ordre de l'Hôpital des fonctions charitables et la milice du Christ de la fonction purement militaire de protection des pèlerins. Cette répartition ternaire des tâches reproduisait d'une certaine façon l'organisation de la société médiévale, qui était composée de prêtres et moines (oratores, littéralement ceux qui prient), de guerriers (bellatores) et de paysans (laboratores)[42].

Suivant Guillaume de Tyr, Hugues de Payns, un baron champenois, faisant très certainement partie des chevaliers du Saint-Sépulcre dès 1115[43], propose à Baudouin II, roi de Jérusalem, la création d'une communauté des « Pauvres Chevaliers du Christ » pour assurer la sécurité des routes. Lors du concile de Naplouse, en 1120, ces « chevaliers » sont invités à reprendre les armes. La nouvelle confrérie est installée par Baudouin et Gormond de Picquigny, patriarche de Jérusalem, sur l'ancienne mosquée al-Aqsa, dite aussi, temple de Salomon. Ils tiennent de là leur nom de miles Templii, les chevaliers du Temple, les Templiers[44]. C'est ainsi que l'ordre du Temple, qui se nommait à cette époque militia Christi, prit naissance avec l'ambiguïté que cette communauté monastique réunit dès le départ à la fois des oratores et des bellatores.

Très vite ces chevaliers, qui prononcent les vœux d'obéissance, de pauvreté et de chasteté, mais qui combattent efficacement les infidèles, posent problème au regard des principes de l'Église ; ces « chevaliers du Christ » sont en état de péché les armes à la main. Hugues fait appel à son parent, l'abbé de Clairvaux, pour intercéder auprès du pape. Bernard de Clairvaux compose De laude nove militie dans laquelle il développe l'idée de malicidium, de malicide en tuant le mal en l'homme et non l'homme.

Bernard y souligne l'originalité du nouvel ordre : le même homme se consacre autant au combat spirituel qu'aux combats dans le monde.

« Il n’est pas assez rare de voir des hommes combattre un ennemi corporel avec les seules forces du corps pour que je m’en étonne ; d’un autre côté, faire la guerre au vice et au démon avec les seules forces de l’âme, ce n’est pas non plus quelque chose d’aussi extraordinaire que louable, le monde est plein de moines qui livrent ces combats ; mais ce qui, pour moi, est aussi admirable qu’évidemment rare, c’est de voir les deux choses réunies. (§ 1) »

De plus, ce texte contenait un passage important où Bernard de Clairvaux expliquait pourquoi les Templiers avaient le droit de tuer un être humain :

« Le chevalier du Christ donne la mort en toute sécurité et la reçoit dans une sécurité plus grande encore. […] Lors donc qu'il tue un malfaiteur, il n'est point homicide mais Malicide. […] La mort qu'il donne est le profit de Jésus-Christ, et celle qu'il reçoit, le sien propre[45]. »

Mais pour cela, il fallait que la guerre soit « juste ». C'est l'objet du § 2 de L'Éloge de la Nouvelle Milice. Bernard est conscient de la difficulté d'un tel concept dans la pratique, car si la guerre n'est pas juste, vouloir tuer tue l'âme de l'assassin :

« Toutes les fois que vous marchez à l’ennemi, vous qui combattez dans les rangs de la milice séculière, vous avez à craindre de tuer votre âme du même coup dont vous donnez la mort à votre adversaire, ou de la recevoir de sa main, dans le corps et dans l’âme en même temps. […] la victoire ne saurait être bonne quand la cause de la guerre ne l’est point et que l’intention de ceux qui la font n’est pas droite. (§ 2) »

Bernard fait donc bien l'éloge de la Nouvelle Milice, mais non sans nuances et précautions… Tous ses § 7 & 8 (dans le chap. IV) tracent un portrait volontairement idéal du soldat du Christ, afin de le donner comme un modèle qui sera toujours à atteindre.

Hugues reprend ces propos dans sa lettre Christi militibus qu'il soumet, en , au concile de Troyes qui approuve le nouvel ordre[44]. Les chevaliers qui intègrent l'ordre prononcent les trois vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. Ils reçurent du patriarche Gormond de Picquigny la mission de « garder voies et chemins contre les brigands, pour le salut des pèlerins » (« ut vias et itinera, ad salutem peregrinorum contra latrones »[46]) pour la rémission de leurs péchés, mission considérée comme un quatrième vœu habituel pour les ordres religieux militaires.

Corpus littéraire et technique[modifier | modifier le code]

La pratique de la chevalerie s'entoure rapidement, à partir du XIIe siècle, d'un vaste corpus littéraire décrivant les idéaux du chevalier, ses savoirs et ses pratiques, et les codes de la chevalerie.

Traités militaires et arts de la guerre[modifier | modifier le code]

Dès le XIIIe siècle, l'œuvre du tacticien romain tardif, Végèce, De re militari, est traduit par Jean de Meung, sous le titre de « l'Art de la chevalerie ». Il y a donc assimilation et identification entre art de la guerre en général, et pratiques socio-techniques des chevaliers.

D'autres auteurs font progressivement leur apparition dans la littérature médiévale liée à l'art militaire : l'Arbre des Batailles, d'Honorat Bovet, ainsi que le travail de Christine de Pizan, le Livre des Faits d'Armes et de Chevalerie, combinant la lecture de Végèce, Bovet, et Frontin.

L’Arbre des batailles écrit en français et en prose, est une vaste synthèse de sources diverses (historiques, philosophiques, juridiques et littéraires) sur le droit de la guerre. Deux versions sont rédigées, la première en 1386-87, la seconde (plus longue, contenant des développements historiques inspirés des œuvres de Martin de Troppau et de Ptolémée de Lucques) est achevée en 1389 et dédiée à Charles VI. Dans les troisième et quatrième parties de l'ouvrage il traite des batailles et du droit des gens de guerre, s'inspirant largement du traité latin de Jean de Legnano. Il fait de la guerre une donnée naturelle du monde et un phénomène bénéfique pour la société, dans le cadre d'une guerre juste, respectueuse de l'immunité des non combattants (reprenant ici Saint Thomas d'Aquin). À l'héroïsme chevaleresque, au duel et à la vengeance, comportements particuliers fixés par l'usage, il oppose la discipline, la loyauté au roi, le service du bien commun, notion héritées de la tradition ecclésiastique.

L’Arbre des batailles connut une vaste diffusion aux XVe et XVIe siècles, ainsi que l'atteste le nombre important de manuscrits conservés - au moins 90 en langue française[47], ainsi que les multiples traductions dont l'ouvrage fit l'objet au XVe siècle, notamment en 1456, en anglais au château de Rosslyn par Gilbert de la Haye, chancelier d'Écosse. Christine de Pizan le copia de nombreuses fois, le citant parmi ses sources principales[48]. L'héraldiste sicilien Jean Courtois, travaillant pour Alphonse V d'Aragon, se réfère beaucoup à Bovet dans son ouvrage, le Blason des Couleurs.

Naissance du code chevaleresque[modifier | modifier le code]

Trois principaux ouvrages médiévaux résument les idéaux de la chevalerie :

  • le poème anonyme L'Ordene de chevalerie, racontant l'emprisonnement de Hugues II de Saint-Omer (appelé également Hugues de Tibériade ou Hues de Tabarie) par Saladin après la bataille de Marj Ayoun le [49]. Celui-ci lui demanda une rançon de 100 000 besants d'or et de l'armer chevalier de sa main en lui expliquant les différentes phases de l'adoubement. Hues de Tabarie accepta (hormis la collée qu'il n'osa porter sur la personne du sultan par crainte de sa garde) puis lui demanda de payer sa rançon au titre de l'aide aux quatre cas, secours que le chevalier était obligé d'apporter à son suzerain en cas de demande de rançon. Piqué par l'intelligence du raisonnement et de la manœuvre, Saladin paya la moitié de la rançon qu'il avait lui-même fixée et obligea ses gouverneurs à payer le reste.
  • Le premier code de chevalerie, à proprement parler, est le Libre del ordre de cavayleria, écrit par Raymond Llulle (1232-1315). Il s'agit d'un opuscule didactique écrit entre 1274 et 1276. Elle fait partie des premières productions de l'écrivain après sa conversion au christianisme. À cette époque il étudiait les caractéristiques sociales de la classe des chevaliers, c'est-à-dire, dans l'acception qu'en fait Lulle, un être armé, courageux et dont l'objectif ultime est de rencontrer la présence de Dieu dans tous les faits du monde[50]. Les sept chapitres qui le composent traitent des différents domaines ayant trait au chevalier en tant que personne, son rôle, les savoirs requis, les rituels et la cérémonie de l'adoubement, le sens des armes, les règles de l'honneur. Il donne également à la fin les droits et obligations du chevalier et lui impose comme objectif d'étendre l'honneur chrétien, la noblesse d'esprit et l'observation d'une stricte piété[50]. L'ouvrage est combatif, voire agressif. Il recommande de convertir les infidèles au bâton et à l'épée en même temps que de leur prêcher la vérité du Christ.
  • Le Livre de Chevalerie de Geoffroi de Charny (1300-1356), porte-oriflamme et conseiller des rois de France Philippe VI et Jean II, mort à la bataille de Poitiers et considéré par ses contemporains comme l'un des meilleurs chevaliers de son temps. Il fait ainsi référence comme « théoricien » de la chevalerie par les œuvres qu'il a écrites[51]. Écrit vers 1350, il constitue l'une des meilleures sources pour comprendre comment les chevaliers se percevaient et accordaient la priorité aux valeurs chevaleresques au XIVe siècle Si le Livre de chevalerie est aujourd'hui l'ouvrage le plus célèbre de Charny, il n'en était pas de même au Moyen Âge, où il semble avoir été le moins diffusé parmi les œuvres de l'auteur, contenus dans seulement deux manuscrits qui nous sont parvenus[52].

Aucun des auteurs de ces trois textes ne connaissait les deux autres, et les trois traités se complètent et donnent à voir une conception générale de la chevalerie, sans qu'il n'y ait d'harmonie stricte et d'équivalence entre les trois blocs de valeurs décrits. À des degrés différents, avec des hiérarchisations différentes et des détails choisis différents, tous ces ouvrages parlent à leur façon et à leur époque de la chevalerie tels qu'ils la perçoivent et la veulent voir se réaliser, comme d'un mode de vie dans lequel le militaire, la noblesse et la religion se combinent dans un but donné, la conversion du monde pour les uns, la victoire contre les Anglais pour les autres. Le « code de la chevalerie » est donc un produit littéraire du Moyen Âge tardif, qui a surtout été écrit et conçu après la fin des croisades. Il repose en partie sur une idéalisation des chevaliers historiques combattant en Terre Sainte et sur les idéaux de l'amour courtois, développés aux siècles précédents.

Effacement progressif[modifier | modifier le code]

Lors du Moyen Âge central, les rois avait institué le ban, un système par lequel les chevaliers sont mis à sa disposition pendant quarante jours, qui est appelé l'ost. C'était le service militaire obligatoire exigé de tous les seigneurs et chevaliers, et s'ils n'étaient pas en mesure de le faire, un paiement, l'écuage, était effectué à la place[53]. Finalement, parce que le service de chevalier standard comprenait 40 jours pour leur suzerain[54],[55], les guerres plus longues de la Guerre de Cent Ans ont conduit les rois à compter de plus en plus sur les mercenaires et les compagnies libres, et former de nouvelles compagnies permanentes, conduisant à la disparition de l'ost médiéval et la chevalerie.

À l'inverse, nombre de chevaliers sont par la suite issus de familles nobles : ils en sont les cadets célibataires et sans héritage, voire les bâtards reconnus par un père noble, seuls les fils aînés héritant alors. Au début du XIIIe siècle, des législations royales de France, d'Allemagne et d'autres royaumes d'Europe disposent que l'on ne peut accéder à l'honneur chevaleresque que si l'on est soi-même de lignée chevaleresque[56], fixant légalement la règle suivie par tradition depuis déjà près de deux siècles.

Les tournois ressemblent véritablement à des situations de guerre, pour mettre les chevaliers dans les conditions de la prochaine bataille auxquels ils devront participer. Mais ces compétitions revêtent la forme de spectacles. Les joutes quant à elles, se distinguent des tournois dans le sens où elles n'opposent que deux adversaires. Moins meurtrières, ces dernières apparaissent vers le XIIIe siècle et sont de fait mieux acceptées par les autorités civiles et religieuses[57][réf. incomplète].

L'entrée en chevalerie[modifier | modifier le code]

Le principal rite d'entrée en chevalerie, permettant à un homme d'adopter ce titre est l'adoubement. La cérémonie de l'adoubement est empreinte de symboles sociaux et religieux forts, permettant de donner aux chevaliers la pleine aura justifiant de leur prépondérance sociale. Selon les théologiens du Moyen Âge central, les chevaliers, les miles ont pour principale vocation de défendre le faible et de faire régner la justice divine, instaurant grâce aux armes la paix du Christ. Cette théologie politique marque fortement l’évolution de l’adoubement, qui emprunte dès lors à l’onction royale et aux sacrements chrétiens de nombreux éléments de rituel, dans sa temporalité et sa scénographie[58].

Au cours de cette cérémonie, l'aspirant chevalier se voit donner l’épée, bénie, et reçoit la colée. Le nouveau chevalier intègre un ordre de valeurs et un groupe social, tout comme les hommes d'Église sont ordonnés. La prédication qui lui est donnée est censée lui rappeler les devoirs spécifiques qui sont désormais les siens, dans le cadre de l'idéal chevaleresque promu par l'Église : contrôler sa violence, exercer sa force avec droiture et modération. Les nouveaux chevaliers sont encouragés à partir en croisade pour défendre la Chrétienté par les prélats de l'époque[58].

Notes et références[modifier | modifier le code]

  1. « CHEVALERIE », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  2. Bromiley, Geoffrey W. (1994). International Standard Bible Encyclopedia. Article "Knighthood" / "Knight"
  3. Martin Dougherty, Weapons and Fighting Techniques of the Medieval Warrior 1000–1500 AD, Chartwell Books, (ISBN 9780785834250), p. 74
  4. Martin Dougherty, Weapons and Fighting Techniques of the Medieval Warrior 1000–1500 AD, Chartwell Books, (ISBN 9780785834250), p. 74
  5. (en) « chivalry | Origin and meaning of chivalry by Online Etymology Dictionary », sur www.etymonline.com (consulté le )
  6. Hoad, T. F. Hoad (1993). The Concise Oxford Dictionary of English Etymology. Oxford University Press.
  7. Martin Dougherty, Weapons and Fighting Techniques of the Medieval Warrior 1000–1500 AD, Chartwell Books, (ISBN 9780785834250), p. 74
  8. Martin Dougherty, Weapons and Fighting Techniques of the Medieval Warrior 1000–1500 AD, Chartwell Books, (ISBN 9780785834250), p. 74
  9. a b c d e et f Jean Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Hachette, Paris, 1998, p 20-33
  10. Tacite, Germania, XIII-XIV
  11. S. Fanning, « Tacitus, Beowulf, and the Comitatus », The Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 17-19
  12. Tacite, La Germanie, c. 13, éd. PERRET J., Paris, 1983, p. 78.
  13. par exemple S.S. Evans, The Lords of Battle : Image and Reality of the Comitatus in Dark-Age Britain, Woodbridge and Rochester, New-York, 1997 ; voir les observations de S. Fanning, « Tacitus, Beowulf, and the Comitatus », The Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 18-20
  14. S. Fanning, op. cit., p. 29 : « It seems clear that the Anglo-Saxon comitatus, as it has been described by modern scholars, is a fiction, for it is not an accurate depiction of actual Anglo-Saxon retinues. »
  15. S. Fanning, « Tacitus, Beowulf, and the Comitatus », The Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 32-34
  16. S. Fanning, « Tacitus, Beowulf, and the Comitatus », The Haskins Society Journal, 9, 1997, p. 36
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  18. Jean Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Hachette, Paris, 1998, p 19
  19. a b c d e et f George Duby, « Article "Chevalerie" - Encyclopaedia Universalis », sur https://www.universalis.fr/encyclopedie/chevalerie/ (consulté le )
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  22. « Muslim Saracen Chivalry as Templar Heritage. Arabian Roots of European Chivalry & Templar-Muslim Friendship », Order of the Temple of Solomon (Knights TAemplar), (consulté le )
  23. "The Life of St. Gerald, by Odo"., Penn State Press, , p. 371
  24. Keen, Maurice Hugh (2005). Chivalry. Yale University Press, p. 62
  25. Crouch, David (2005). The Birth of Nobility: Constructing Aristocracy in England and France 900–1300. Harlow, Pearson.
  26. Jean Flori, La chevalerie en France au Moyen Âge, PUF, « Que sais-je ? », no 972, 1995.[réf. incomplète]
  27. Demurger 2008, p. 25.
  28. Cécile Morrisson, Les Croisades, Presses universitaires de France, 1992, p. 33.
  29. Grousset 1934, p. 233-7.
  30. Cécile Morrisson, op. cit., p. 34.
  31. Michel Balard, Jean-Philippe Genêt, Michel Rouche, Des Barbares à la Renaissance, Hachette, 1973, p. 180.
  32. Bertrand Galimard Flavigny (2006), p. 13
  33. a et b Demurger (2013), p. 58-61
  34. Galimard Flavigny (2006), p. 28
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  36. Delaville Le Roulx (1904), p. 32
  37. Demurger (2013), p. 101
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  39. Demurger (2013), p. 103
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  41. Galimard Flavigny (2006), p. 32
  42. Demurger 2002, p. 17-18.
  43. Demurger 2008, p. 26.
  44. a et b Galimard Flavigny, 2006, op. cit., p. 27.
  45. saint Bernard, De laude novæ militiæ, chap. III, § 4.
  46. Huchet 2010, p. 22.
  47. Hélène Biu, « Honorat Bovet », Histoire littéraire de la France, vol. 43/1,‎ , p. 83-128
  48. Hélène Biu, « Les traductions en occitan et en catalan de L’Arbre des batailles d’Honorat Bovet », dans Hervé Lieutard et Marie-Jeanne Verny (dir.), Nouvelle recherche en domaine occitan [en ligne], Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2003, (ISBN 9782367810713)
  49. Thomas DELVAUX, Le sang des Saint-Omer des croisades à la quenouille, Tatinghem, 2007, p. 97
  50. a et b Université de Barcelone, Qui est Lulle (lire en ligne), « Le livre de l'ordre de la chevalerie »
  51. Sébastien Nadot, Rompez Les lances ! Chevaliers et tournois au Moyen Âge, éditions Autrement, Paris, 2010, p. 94.
  52. Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, manuscrit 11124-11126, fol. 83-136; Paris, Bibliothèque nationale de France, nouvelles acquisitions françaises 4736, fol. 36-87. Kennedy 1996, p. 74-75.
  53. « OST », sur Encyclopædia Universalis (consulté le ).
  54. Gilles-André de La Roque de La Lontière, Traité de la noblesse, de ses différentes espèces, de son origine,... Des Bans et Arriere Bans. p. 60-69.
  55. J. O. Prestwich, The Place of War in English History, 1066-1214, appendix II. p. 129.
  56. J. Flori, Chevaliers et chevalerie au Moyen Âge, Hachette, 1998, p. 83.
  57. Sébastien Nadot, Rompez les lances ! Chevaliers et tournois au Moyen Âge, éditions Autrement, Paris, 2010.[réf. incomplète]
  58. a et b Chevalerie et christianisme aux XIIe et XIIIe siècles, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », (ISBN 978-2-7535-6842-6, lire en ligne)

Voir aussi[modifier | modifier le code]

Sur les autres projets Wikimedia :

Bibliographie[modifier | modifier le code]

  • Corrêa de Oliveira, Plinio (1993). Nobility and Analogous Traditional Elites in the Allocutions of Pius XII.
  • Crouch, David (2005). The Birth of Nobility: Constructing Aristocracy in England and France 900–1300. Harlow, UK: Pearson.
  • Felson, Richard B. (2002). "Violence and gender reexamined". Law and public policy. Washington, DC: American Psychological Association. p. 67–82.
  • Gravett, Christopher (2008). Knight: Noble Warrior of England 1200–1600. Oxford: Osprey Publishing.
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Articles connexes[modifier | modifier le code]

Liens externes[modifier | modifier le code]